Autres lieux, autres noms

MOLANDIER, par Jean-Louis Cuculière

Autres lieux, autres noms

L’année dernière, nous avons découvert ou redécouvert ensemble quelques lieux oubliés de notre commune ainsi que l’origine de leurs noms. Cette année, nous allons nous intéresser aux origines des noms de ferme. Bien sûr, nous n’allons toutes les détailler ici,  il faut garder de la matière pour les années à venir…

Comme pour les noms de lieux, les origines sont de tous ordres : géographique, religieux, historique ou autres. Certaines fermes portent encore le nom de leurs anciens propriétaires. Ainsi le Figuier de Troy. En lisant les actes de baptême du 17ème siècle, une certaine « Germaine Victoire de Troy » née le 9 novembre 1765, est déclarée habitante du Fièr de Troy. Trois ans plus tard, il en est de même pour son frère « Jean  François Siméon ». Le mot « fièr » est sans doute la transcription française de la prononciation du  mot occitan « figuier » dans lequel le « gu » n’est pas prononcé. Quant à « de Troy », il s’agit du nom de famille de Jean Barthélémy Théodore, bourgeois, marié à Jeanne Marie Beillard d’Esplas, fille de Jean François Beillard, seigneur d’Esplas  (proche de Saverdun), chevalier de l’Ordre royal et militaire de Saint Louis, Brigadier de la Vème compagnie des mousquetaires du Roy. Cette ferme aurait pu s’appeler tout simplement « Le Figuier » s’il n’avait  fallu la distinguer de sa voisine,  Le Figuier d’Agreville  (ou de Gréville sur certains actes), propriété d’une famille mazérienne. D’où la double origine, celle du nom de l’arbre auquel on a ajouté le patronyme du propriétaire pour éviter toute confusion.

En parlant d’arbre, il en va de même pour  Dreuil . Ecrit « Druil » au 17ème siècle, il s’agit d’une des appellations occitanes du chêne. A ne pas confondre avec « drulher » qui est le nom occitan de l’alisier, arbre beaucoup plus rare. De même pour « Garrigues », de l’occitan garric,  qui est le nom d’une variété de  chêne.  La Vernèze  d’aujourd’hui, Bernèze de l’ancien temps, tire son nom de l’occitan « vernhe », aulne. Il s’agissait sans doute d’un lieu planté d’aulnes ou de saules, arbres qui aiment les lieux humides. On peut penser que ces arbres poussaient dans le bas-fond, entre La Vernèze et Combes.

Pour en revenir aux fermes portant le nom de leur propriétaire, vous aurez reconnu Jean Costes (cité dans des actes paroissiaux) ou Jean Dalet. Boutet aussi . Une famille Boutet vivait dans la ferme du même nom au 17ème siècle (cf actes de naissance). Une famille de marchands, les Gillis ont dû posséder la ferme du même nom, aujourd’hui disparue. De même pout Gueyte qui a un jour fait partie du patrimoine de Bernard Gueyte, notaire à Mazères.

 La Gabache, Le Gabachou  parfois noté  La Gabachie  a pour origine le mot « gabach ». Ce qui signifie « celui qui vient du nord, de la montagne ». On peut penser que la personne ayant construit ou fait construire la ferme était étrangère au village. A noter que les catalans appellent les audois « gabach », avec un petit côté péjoratif.

D’autres fermes tirent leur nom d’une caractéristique physique d’un de ses habitants. Combes  s’appelait « Cambos » au 17ème siècle. Ce nom doit avoir un lien avec la longueur des jambes d’un « ancien », de grande taille, tout comme la ferme de La Louvière,  Le Cammas .  Le Roux , souvent écrit « Rous » renvoie à la couleur de cheveux ou aux taches de rousseur d’un ancien  maître des lieux.

Le lieu d’implantation des fermes intervient aussi.  La Gardelle , nom tiré de l’occitan « gardiola » signifie « petite hauteur ».  Marquet est le « quartier » situé un peu à l’écart du village.

La nature du sol ou de ce qui y était planté a contribué à nommer les habitations. Ainsi  Faoua  anciennement appelé « Favanasse » est issu de l’occitan « fava »,  fève. A noter qu’une famille Pousens habitait déjà cette ferme au 17ème siècle. Roudigou, diminutif de roudigue, vient de roudic qui signifie «  lieu que l’on défriche pour s’y installer ».

La religion a aussi joué un rôle dans la dénomination des lieux. Les fermes de la plaine ouest, côté Mazères,  en témoignent.  Saint-Sernin (San Serny) est le nom d’un ancien évêque de Toulouse, martyrisé en l’an 257. Bauzeil, martyr du 3ème ou 4ème siècle à Nîmes, fut aussi sanctifié. Révenglès, anciennement Rivengles, signifierait selon Pierre Duffaut, auteur de « Histoire de Mazères », église du ruisseau (rivo). On peut y associer Carême pour compléter l’impact religieux sur cette partie du village. La Piouselle, modification du nom Plisolles (Saint Martin de), est le nom d’un ancien décimaire (groupe de fermes autour d’une église dont les paysans devaient acquitter la décime).

De Carême à Carmentran, il n’y a (presque) qu’un pas. Ce nom résulte de la contraction de deux mots : carême et entrant. Parfois écrit Caramantran, le carême entrant est la période qui désigne les réjouissances avant le carême c’est-à-dire le carnaval. Fête religieuse à l’ouest, fête païenne à l’est, nul ne saura ce que le propriétaire de l’époque a voulu signifier à travers ce nom de baptême.

Pour finir, un nom original que peu d’entre nous  connaissent  : Trigodinas. Cette ferme disparue n’est mentionnée sur aucune carte. Un acte de décès daté du 13 janvier 1692 mentionne que Chaterine Chichiote, veuve, âgée d’environ 80 ans, s’est éteinte dans cette métairie. Il est possible que cette personne ait été la dernière survivante de cette famille et que la ferme, à l’abandon,  fût détruite par la suite. Mais c’est surtout l’origine du nom qui retient l’attention. Dérivé de l’occitan « me trigo de dinar », qui signifie « il me tarde de dîner », ce nom rappelle que la ferme se situait loin des autres fermes (ou du village) et qu’il fallait un certain temps pour s’y rendre. Ce nom a aussi qualifié des terres cultivées éloignées d’une ferme. On rencontre ailleurs des « Trigo-beure », il me tarde de boire, ayant le même sens.

A l’année prochaine …

                                                                                                                  Jean-Louis CUCULIERE

Bibliographie :

L.Alibert  Dictionnaire occitan-français  Institut d’études occitanes

B.Boyre-Fénié et J.J.Fénié  Toponymie des pays occitans   Editions Sud-Ouest

A.Dauzat et Ch. Rostaing   Dictiionnaire étymologique des noms de lieux en France  2ème édition Librairie Guénégaud

P.Duffaut    Histoire de Mazères   édité par la mairie de Mazères

Lorédan Larchey   Dictionnaire des noms    Res Universis/Histodif

M-Th. Morlet  Dictionnaire étymologique des noms de famille  Perrin

C.Rapin  Diccionari francés/occitan T.1,2,3,4,5 Institut d’études occitanes

Abbé Sabarthès   Dictionnaire topographique du département de l’Aude    Philippe Schrauben Editeur